La mirotte

- Je ne veux pas t'influencer", dit Emaus. "On n'a aucun moyen d'évaluer les chances de réussite. On n'a pas assez de données. Cinq personnes, seulement ... Et chaque fois il y a eu un résultat différent.
- Et l'une d'entre elles a disparu ! Complètement ! Dans les cinq minutes qui ont suivi l'opération !
- C'est Beatrix qui a opéré, cette fois-là. Pas moi. Mais cette histoire de disparition, ce n'est pas sûr. En tout cas ce n'est pas la version officielle, c'est ce que moi j'ai ressenti." Emaus se leva soudain de son fauteuil, et planta sa longue silhouette dégingandée et un peu voûtée devant la fenêtre du bureau. Il se sentait incapable de rester plus longtemps immobile devant son ami aveugle. Il ne savait pas si sa proposition était monstrueuse ou miraculeuse. Il ne savait qu'une chose : Michel ne pouvait pas supporter d'avoir perdu la vue. Devenir aveugle, pour un contemplatif comme Michel ... La pire des malédictions. Il fallait lui donner un espoir, n'importe lequel. Et déjà, Michel sortait de son apparente indifférence. Pour la première fois depuis 3 mois, depuis que le virus avait détruit les nerfs optiques, opacifié le cristallin, éparpillé ses briques aléatoires et maléfiques sur tout le trajet emprunté par les images, et jusqu'à la minuscule portion du cerveau capable de leur donner un sens, pour la première fois il retrouvait Michel étreignant les accoudoirs, tendu, l'oreille aux aguets. Emaus eut l'impression que Michel tentait même d'entendre son souffle, comme s'il allait par sa respiration lui en dévoiler un peu plus. Il fallait lui dire tout ce qu'il savait. Il revint s'asseoir en face de Michel.